"Une Racine est, et ne peut jamais être que monosyllabique: elle résulte de la réunion de deux signes au moins, et de trois au plus. Je dis de deux signes au moins, car un seul signe ne saurait constituer une Racine, parce que l'idée fondamentale qu'il renferme, n'étant pour ainsi dire qu'en germe, attend pour se développer, l’influence d''un autre signe.
Ce n'est pas que le signe avant d’être constitué tel, n’ait représenté un nom, mais ce nom s’est effacé, comme je l'ai dit, pour constituer le signe. Lorsque le signe se présente seul dans le discours, il devient en hébreu, ce que j'appelle un article ; c’est-à-dire une sorte de relation dont l’expression des verbes entr'eux
La Racine ne peut pas être composée de plus de trois signes, sans être bissyllabique, et sans cesser par conséquent, d’être au nombre des mots primitifs. Tout mot composé de plus d'une syllabe est nécessairement un dérivé. Car, ou deux racines y sont réunies ou contractées; ou bien un ou plusieurs signes ont été joints au mot radical pour le modifier.
Quoique la Racine étymologique puisse fort bien être employée comme Nom, Verbe ou Relation, elle n’est cependant rien de tout cela tant qu’on la considère comme Racine ; attendu qu’elle n'offre, sous ce rapport, aucune idée déterminée d’objet, d’action, ni d’absraction.
Un Nom désigne. éévodemment un objerf particulier de quelque natune qu’il soit. un Verbe exprime une action quelconque, une Relation détermine un rapport1: la Racine présente toujours un sens universel comme Nom , absolu comme Verbe, indéterminé comme Relation.
Ainsi la racine , Aleph-Yod, formée des signes de la puissance et de la manifestation, désigne en général, le centre vers lequel tend la volonté le lieu où elle se fixe, la sphère d’activité dans laquelle elle agit. Employée comme Nom, c’est un désir, un objet désiré ; un lieu distinct, séparé d’un autre lieu ; une île, une contrée, une région, un foyer, un gouvernement : comme Verbe, c’est l’action de désirer une chose vivement, de tendre vers un lieu, de s'y complaire : comme Relation, c’est le rapport abstrait du lieu où l’on est, de l’objet où l’on tend, de la sphère où l’on agit.
Ainsi, la Racine Aleph-°Waw, qui réunit au signe de la puissance le signe convertible universel, image du nœud mystérieux qui porte le néant et l’être, offre encore un sens plus vague que la Racine Aleph-Yod, dont je viens de parler, et qui semble en être une modification. Ce n'est point encore un désir, même en général ; c’est, pour ainsi dire, le germe d’un désir, une appétence vague, sans objet, sans but; une inquiétude désireuse, un sens obtus. Employée comme Nom, elle désigne l’incertitude de la volonté; si l’on en fait un Verbe, c’est l’action indéterminée de vouloir ; si l’on s’en sert comme Relation, c’est l’expression abstraite du rapport que l’incertitude ou l’indétermination de la volonté établit entre l’un ou l’autre objet qui peut la fixer. Cette Racine, considérée à bon droit comme primitive, produit un grand nombre de racines dérivées en s’amalgamant avec d’autres racines primitives, ou bien en recevant par adjonction des signes qui la modifient. On trouve, par exemple, les suivantes qui sont dignes d’une grande attention.
Aleph-.Waw-Bet, Tout désir agissant à l’intérieur et fructifiant. C’est, comme Nom, la matrice de l’univers, le vaisseau d’Isis, l’œuf orphique, le monde, l’esprit pythonique ; etc.
Aleph-.Waw-Dalet, Tout désir agissant à l’extérieur et se propageant. C’est, comme Nom, ce qui lie la cause à l’effet, la causalité ; une émanation quelconque ; c’est, comme Verbe, l’action d’émaner, de passer de la cause à l’effet : comme Relation, c’est le rapport abstrait d’après lequel on conçoit qu’une chose existe, ou a lieu à cause d’une autre.
Aleph-.Waw-Lamed, Tout désir expansif, s’élançant dans l’espace. C’est, comme Nom, un intervalle de temps, ou de lieu; une durée, une distance : c’est comme Verbe, l’action de s’étendre, de remplir, d’envahir l’espace ou la durée ; celle d’atteindre ou de durer : c’est, comme Relation, le rapport abstrait exprimé par peut-être !
Aleph-.Waw-Nun final, Tout désir s’épandant dans l’infini, se perdant dans le vague, s'évanouissant : c’est, comme Nom, tout et rien, suivant la manière dont on envisage l’infini.
Aleph-.Waw-Phé, Tout désir en subjuguant un autre et l’entraînant dans son tourbillon : c’est, comme Nom, la force sympathique, la passion; une cause finale : c’est, comme Verbe, l’action d’entraîner dans sa volonté, d’enveloper dans son tourbillon : comme Relation, c’est le rapport abstrait exprimé par et même, aussi.
Aleph-.Waw-Tsadé final, Tout désir allant à un but. C’est, comme Nom, la limite même du désir, la fin où il tend ; c’est, comme Verbe, l’action de pousser, de hâter, de presser vers le but désiré. : c’est, comme Relation, le rapport abstrait exprimé par chez.
Aleph-.Waw-Res, Tout désir livré à sa propre impulsion. C’est, comme Nom, l’ardeur, le feu, la passion : c’est, comme Verbe, tout ce qui embrase, brûle, excite, tant au propre qu’au figuré.
Aleph-.Waw-Taw, Tout désir sympatisant, s’accordant avec un autre. C’est, comme Nom, un symbole, un caractère, un objet quelconque : c’est, comme Verbe, l’action de sympathiser, de s’accorder, de convenir, d’être en rapport, en harmonie; c’est comme Relation, le rapport abstrait exprimé par ensemble. |
Je n’étendrai pas davantage les exemples sur cet objet, puisque mon dessein est de donner, à la suite de cette Grammaire, une série de toutes les Racines hébraïques. C’est là que j’invite le lecteur à en étudier la forme. J'aurai soin de distinguer les Racines primitives de Racines composées, intensitives ou onomatopées. Celles de la dernière espèce sont assez rares en hébreu. On les trouve en bien plus grand nombre dans l'arabe, où mille circonstances locales les ont fait naître Ce concours de sons imitatifs, très favorables à la poésie et à tous les arts d'imitation, aurait nuit considérablement au développement des idées universelles, vers lesquelles les Égyptiens dirigeaient leurs efforts, les plus grands.
Au reste, on se tromperait beaucoup si l'on imaginait que l'exploration des Racines offre, en hébreu, les mêmes difficultés que dans les idiômes modernes. Dans ces idiômes élevés, pour la plupart, sur les débris de plusieurs idiômes réunis, les Racines profondément ensevelies sous les matériaux primitifs, peuvent tromper l’oeil de l’observateur; mais il n’en est pas ainsi en hébreu. Cette Langue, grâce à la forme des caractères chaldaïques, n’ayant guère varié que sa ponctuation, offre encore à un Lecteur attentif, qui veut faire abstraction des points, les termes employés par Moyse dans leur intégrité native. malgré les soins d’Esdras il s’est glissé quelques changemens dans les voyelles mères, et même dans les consonnes, ces changemens sont légers et ne peuvent empêcher que la Racine, presqu’à fleur de terre, si je puis m’exprimer ainsi, ne frappe l’œil de l’Etymologiste".
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